PORTRAIT
Mister Voul : excentrique égocentré
Aussi difficile à joindre qu’il est facile à repérer dans les rues, notamment de Roubaix, Mister Voul, dont la face iconique et flegmatique hante la ville, s’est plié (en quatre) au jeu du portrait chinois. Rendez-vous dans son nouvel atelier à la Condition Publique. Si vous étiez… Un pays Le Maroc, où j’ai vécu entre 5 et 8 ans, à Casablanca et Marrakech. Le métier de mon père nous a fait beaucoup bouger. D’une manière générale j’ai beaucoup déménagé. Roubaix est ma 27e étape. Une région Mon Berry. Je suis né à Argenton-sur-Creuse… ou la Réunio, où j’ai passé ma petite enfance. Une ville Roubaix ! La première ville où je me suis senti bien instantanément. J’y habite depuis 3 ans. Un métier Photographe de la Marine nationale… le premier que j’ai exercé, à Brest. Un prénom Gilles, le mien, que j’ai coupé en deux, comme mon nom Voulouzan. On appelait ma famille « les Voul ». Gil Voul, c’est pas mal, ça sonne. Une expression Celle de mon pochoir de Mister Voul, issue d’un shooting de grimaces : dubitatif, voire désabusé, dans l’air du temps. Un chiffre Le 22… il me suit partout ! Je suis né le 22 octobre, ma fille et sa mère aussi. On le retrouve aussi en additionnant tous les chiffres de la date de naissance de mon fils ! Une date Le 14 février 20… 22 (!), date de mon installation dans le Labo 127 à la Condition Publique, mon atelier que je partage avec Resco. Un accessoire Le chapeau, haut de forme ou melon, pour le côté burlesque. Un symbole, un motif Une ancre, que je vais me faire tatouer prochainement. Je reste très attaché à mes années dans la Marine. Un personnage historique ou imaginaire Mister Voul pardi ! Je l’ai créé pour la communication de mon collectif de photographes à Paris. Un personnage un peu « Méliès », « passe-muraille », que je déclinais en photo, vidéo, stop-motion… Un lieu, un spot La Condition Publique, un lieu plein d’énergie où l’on expose l’art où on le fabrique aussi, avec des ateliers bois, métal, un fab-lab… C’est très inspirant ! Y être marque un vrai tournant pour moi. Un support, une technique J’ai été appelé il y a 6 ans par les libraires d’Autour des Mots pour un collage sur leur rideau. Ensuite ça m’a paru naturel de peindre, à l’aide d’un pochoir, sur les murs ou des supports de récupération. Aujourd’hui je renoue avec la photo, à travers le cyanotype. Un groupe d’artistes, un collectif Le collectif RémyCo, dont j’ai été l’un des fondateurs, installé dans un atelier rue Rémi Cogghe à Roubaix. Une belle aventure. Un artiste Pierre&Gilles, pour le côté retouche sur photo. Une source d’inspiration. Un courant musical, un groupe Je suis en train de découvrir la scène musicale hip-hop roubaisienne : ZKR, Dalibido… C’est super riche ! Un projet, un rêve Raconter des histoires avec une touche d’humour. Et puis m’attaquer au mural, en grand, très grand ! C’est pour ça que je passe mon permis nacelle. Instagram Crédit photo : Sébastien Candelier
Brahim Bouchelaghem – Celui qui bouge tout le temps
Une journée type dans l’emploi du temps de Brahim Bouchelaghem ? Cela n’existe pas. Ou plutôt ses jours se suivent et ne se ressemblent pas. C’est ce qui plaît à ce danseur au grand cœur, qui s’est forgé dans les rues de l’Alma et parcourt aujourd’hui le monde avec sa compagnie Zahrbat. Zahrbat ça veut dire « celui qui bouge tout le temps » en arabe. Même s’il a choisi ce nom pour sa compagnie et sa première création en hommage à son père, il reconnaît volontiers qu’il lui correspond bien aussi. S’il n’y a pas de journée type dans le quotidien du danseur, elles commencent toutes de la même façon, par une sorte de rituel immuable. « Le matin, je prends mon petit déjeuner en regardant les infos. J’avale un café et deux ou trois gâteaux, puis je sors fumer une cigarette dans le jardin. Je regarde le ciel et je réfléchis. » La danse dans tous ses états C’est après que l’emploi du temps change. Résidence pour une nouvelle création, participation à un jury de breakdance à Chalon-sur-Saône, représentation de sa dernière création en Albanie, et parfois tout cela à la fois dans la même semaine… ou presque ! Le jour où l’on a rencontré Brahim, il était tranquillement posé au studio de sa compagnie au numéro 28 de la rue des champs. Des détails à caler pour sa participation au festival d’Avignon avec Marie et Luciole, qui s’occupent de tout le travail administratif pour la compagnie. En fin de journée, Brahim sera rejoint par quelques-uns de ses danseurs, « car où que je sois bien sûr, il ne se passe pas une journée sans que je danse ». Le danseur de bientôt 50 ans vit en bande et travaille régulièrement avec les mêmes danseurs dont les petits noms indiquent le lien quasi fraternel qui les unit : Mousstik, Cachou, Fouad, Allous, Nordine … Quand on lui demande où il sera la semaine prochaine, Brahim répond dans un grand éclat de rire. « Mon planning c’est Marie ! » Déchargé des contingences matérielles et organisationnelles, Brahim peut se concentrer sur ses créations. Sur sa danse, « du hip-hop d’aujourd’hui qui peut mélanger break dance et danse contemporaine » et sa pratique qu’il remet sans cesse en question. « J’arrive à 50 ans. Je fais encore des choses que bien des personnes de mon âge ne pourraient faire, mais je suis quand même conscient que ce n’est plus tout à fait comme avant. C’est passionnant de réfléchir à sa pratique et de contourner pour réaliser certaines figures autrement. » Son agenda est rempli jusqu’en 2024. En attendant, Brahim savoure quotidiennement de vivre de sa passion et de la transmettre à tous. Très attaché à Roubaix, « sa » ville, il est fier de faire partie du comité artistique d’URBX, le festival des cultures urbaines qui a lieu du 15 au 26 juin 2022. Au programme notamment, un battle pluridisciplinaire, le « Hip-Hop Series », qui doit réunir un danseur, un graffeur, un rappeur et un beat boxer par équipe. zahrbat.com Almataha : une tournée labyrinthe Brahim Bouchelaghem est actuellement en tournée avec sa pièce Almataha. Une des rares créations sans lui sur scène. « C’est un peu frustrant car je ne maîtrise pas la situation comme quand je suis sur scène, et en même temps je vois le moindre petit truc qui cloche » explique-t-il. Trois danseurs partagent la scène avec une marionnette qu’ils font vivre dans l’univers d’un labyrinthe (la traduction d’Almataha) qui symbolise nos cheminements, nos hésitations et nos apprentissages. En tournée depuis février 2021, cette pièce jeune public a déjà été jouée 35 fois et comptera 80 représentations au total.
{nikonografik}, ni vu ni connu
Ça faisait longtemps qu’on avait repéré dans Roubaix ses masques aux signes géométriques ascendant Afrique collés à même la brique. Et ça nous avait tout de suite plu. Alors quand on a décidé de lui offrir la dernière de couverture de ce numéro d’Alternatif, on est allés à sa rencontre dans son atelier, à l’Alternateur. Vite fait, bien fait. Il s’appelle Boulogne et est originaire de Cambrai. Il est aussi discret que ses œuvres sont remarquables. L’homme n’est pas à une contradiction près. Et alors ? Dans son atelier roubaisien, Nicolas Boulogne, alias {nikonographik}, ou encore {n}… est bien. Même si l’artiste, qui fut un temps installé à RémyCo, se verrait bien étaler les œuvres en cours sur les murs immenses d’un plateau d’usine. Histoire de vérifier, en vrai, en géant et confortablement, la cohérence de sa nouvelle série. De l’ampleur ! Voilà ce vers quoi Nicolas tend. « Même si j’explore en ce moment plusieurs pistes, aujourd’hui j’ai envie que ça splashe, que ça coule, que ça dégouline ! » De ce point de vue, la der de couverture d’Alternatif est représentative de son travail actuel. United Strates of Posca Devant ses grands formats, les sous-titrages en VO fusent. « Je travaille les strates. J’aime l’idée de raconter une histoire par couches successives qui s’additionnent, se sédimentent, comme les cernes d’un arbre. » Côté couleurs, l’artiste adore utiliser le rose et « une palette qui en jette », adoucie parfois, pour un résultat plus subtil. L’ancien élève du lycée Baggio, graphiste de profession, maîtrise les calques de Photoshop, jouant avec aisance sur les transparences et les opacités. « Ce travail composite est un fil rouge… une espèce de logique dans mon travail. » Le pro de l’art numérique, nourri à la peinture, (« Quand j’étais enfant, mon père peignait dans le salon. A table, j’avais un pinceau à la place de la fourchette ou du couteau. ») a ressenti l’urgence d‘un retour à la matière. En 2020, il se lance un défi fou : un dessin par jour durant un an, soit 365 dessins. Sur des vieux plans A4 en calque, récupérés chez Matériaux Authentiques à Tourcoing, au Posca et en couleurs, des visages transparaissent, se suivent et dressent, jour après jour, le portrait d’une famille imaginaire insolite et sympathique. Au milieu de la série, des clins d’œil assumés et amusants, à Mister Voul, Frida Kahlo, Roy Lichtenstein, Yayoi Kusama, Picasso ou encore Dali. Une galerie de « freaks », chic et graphique. Le 25 décembre 2021, Nicolas poste sur son Instagram le dessin numéro 365. Challenge réussi ! Crédit photo : Sébastien Candelier In love with {n} En avril 2021, la rénovation de l’église Saint-Joseph, seul monument historique classé de Roubaix lui offre l’occasion de répondre à une commande exceptionnelle. Il réalise, avec la complicité d’amis artistes, une fresque de 50 mètres de long, juste en face de l’édifice niché au cœur de l’Alma. Un travail tout en motifs et en symboles, à la gloire des peintures qui ornent l’intérieur du bâtiment. Une première pour lui, qui aime aussi multiplier les collaborations, avec Resco, Mister Voul, Adré Uno, etc. « Je suis toujours curieux de faire avec les autres, heureux de sortir de ma zone de confort. » Dernière expérimentation, avec Adre, une fresque peinte au rouleau et à la perche sur un mur de l’ancien bowling de Roubaix. Nicolas donne de plus en plus de place à la peinture, privilégiant l’artistique au graphisme. On retrouve ses œuvres collées à Roubaix, Bruxelles, Montpellier, Lille, Hardelot ou… Boulogne, et même Naples ! Régulièrement, il anime des ateliers dans des écoles, en France et en Belgique, notamment avec des autistes, dont il envierait presque le talent pur et spontané. Sans être brut, son travail à lui a quelque chose de tribal, inspiré des motifs de tissus ethniques africains. En noir et blanc, on pourrait penser à « des coloriages pour ceux qui ne peuvent pas s’en payer », comme l’a joliment dit un enfant. On imagine aussi quels beaux vitraux ils feraient. instagram.com/nikonografik59 artaetas.com/users/nikonografik
Bertrand Millet, les jeux de la rampe
Directeur/programmateur du Colisée depuis 2006, il a été nommé président de l’association « Cultures Urbaines Roubaix » qui est à l’initiative de la première édition du festival URBX en juin 2022. Être acteur ou spectateur, c’est une question de point de vue… OU de siège !. Rome OU Roubaix ? Michel Leeb nous a laissé une dédicace : « Le Colisée n’est pas à Rome mais à Roubaix et c’est tant mieux ! » Il a tout dit, pour moi le Colisée est à Roubaix, mon cœur est ici. Indoor OU outdoor ? Je suis dans les salles, ma vie est dedans. Mais, côté personnel, j’aime être dehors, pour pédaler et jardiner. Juventus, de Turin OU de Cambrai ? Ça reste un super souvenir le Juventus d’Arc-et-Senans (NDLR : festival de solistes de musique classique accueilli à la Saline royale qu’il a dirigée dans le Doubs, repris depuis 1998 par la ville de Cambrai) mais j’aime le foot, je vais même au stade de temps en temps. Scène OU ville ? C’est super agréable d’habiter la ville où je dirige le théâtre (NDLR : il était Roubaisien avant d’y travailler) et pouvoir y accueillir mes amis est un vrai plaisir, c’est rare de connaître le public aussi bien ! Je suis à la ville comme à la scène : je peux mêler les deux et donc garder une vie sociale épanouie. Verre OU vers ? Comme tout le monde, je me suis mis à la bière (rires). La convivialité fait partie du métier, du plaisir de la sortie. C’est d’ailleurs l’objectif du Restaurant du Colisée ! Solo OU collectif ? Collectif ! Je suis un animal sociable, un urbain au milieu des gens. Dans mon travail, je manage vingt personnes dans une bonne ambiance. L’atmosphère, le fonctionnement en harmonie, c’est essentiel, il faut être attentif aux autres. Ça fait partie du plaisir de travailler ensemble. Passé OU présent ? Présent, résolument ! Le Colisée, c’est un projet tous les ans, il faut se tenir au courant. Voire futur : on se projette dans l’avenir, on a déjà en vue la saison 2023-2024… Avec les productions, on fait un travail par anticipation. Astronomie OU musicologie ? En parlant de zénith (NDLR : il a dirigé l’établissement lillois de 2003 à 2006), j’ai connu une certaine frustration de ne pas pouvoir faire de choix artistique. J’ai besoin d’associer l’exigence artistique au fait de m’y retrouver dans la programmation. Je suis éclectique mais je reste mélomane. Acteur OU spectateur ? J’ai été comédien, amateur, pendant mes études. Mais, très vite, j’ai compris que ma place était aux côtés des artistes, dans l’ombre, dans l’organisation. C’est un métier passion où il faut savoir rester curieux. Et puis, je suis spectateur 240 fois par an quand même ! Exploration OU expression ? Au départ, mon domaine est plus le théâtre et le rapport aux comédiens, et même si la danse est une discipline que je connais bien, je poursuis une grande exploration dans les autres domaines avec le festival URBX. coliseeroubaix.com Crédit photo : Eric Flogny
La Visitation… un couvent dans le vent
Le Couvent de la Visitation, dans le quartier de l’Hommelet, attendait une nouvelle vie depuis plus de 10 ans. Après le succès de la guiguette estivale et de l’exposition collaborative d’art urbain et contemporain, le Couvent s’est mis en hibernation… réveil prévu, après quelques mois de travaux vers juin 2022. Le lieu deviendra à partir de l’été 2022 un lieu de vie avec une halle gourmande, des rendez-vous festifs, une brasserie, et accueillera des commerces (tatoueurs, fripiers et boutiques éphémères)… Un lieu alternatif, « habité », que l’on est impatient de revoir bouillonner. Le Couvent se situe à Roubaix, près du canal au 128 boulevard de Strasbourg. Facebook Le Couvent – Roubaix Dame Castagne Les lieux comme les personnes sont très souvent chargés d’histoires. Celles du Couvent de la Visitation et de sa directrice artistique, Julie Antoine, n’étaient pas forcément vouées à se croiser, mais le hasard (ou tout autre choses, chacun jugera…) en a décidé autrement. Rencontre avec celle qui veut redonner une âme à ce bâtiment longtemps abandonnée… Issue d’une famille ouvrière, d’origine gitane, enfant turbulent, Julie a connu les « année galères« . Mais ses parents lui ont aussi permis de vivre très tôt ce qu’elle appelle « la Grande vie« , en accédant aux arts, à la culture, au sport… Depuis le sud de la France où elle est née, en passant pas Bruxelles, Genève, Verviers… Julie s’est joué des frontières : géographiques et sociales, économiques et culturelles. La voici posée à Roubaix : « ma ville idéale, mélange de Berlin, Liège et Marseille. » Maman célibataire très jeune (elle a désormais 4 enfants), cette ancienne boxeuse, ayant flirté parfois à l’adolescence avec la délinquance, a gagné son surnom de « Dame Castagne« . Elle se bat aujourd’hui pour ses projets roubaisiens : mélanger les populations, créer des passerelles entre les habitants du quartier aux origines multiples mais en partageant la même fierté roubaisienne. J’aime les bizarres, les tordus, les écorchés… Elle est aussi à la tête d’un studio créatif baptisé « VULGARITE NOBLE ». Mais qu’est-ce que la noblesse, selon elle ? Sans hésitation : « L’intégrité« . Et la vulgarité ? Éclat de rire : « MOI ! Mais attention : vulgaire vient du latin « vulgus », qui signifie « peuple »… cela n’a rien de péjoratif ! Et puis j’assume : j’aime les bizarres, les tordus, les écorchés…« En sortant du Couvent elle nous montre la maison actuelle des Sœurs de la Visitation : « Elles habitent en face… je les adore ! Elles sont entièrement dévouées aux pauvres et aux malades. au sein de l’Eglise, ce sont des rebelles, indépendantes… ». Julie Antoine qui prend la relève de ces sœurs au Couvent : heureux hasard ?
Contributeurs Alternatif #6
Une illustratrice, un photographe-street artiste, des libraires, qui sont les talents qui nous font l’honneur de participer à ce numéro #6 d’Alternatif ? Marie-Odile et Louis Breynaert La librairie « Autour des mots », c’est eux. Depuis le 12 mars 2009, ce couple de libraires propose une sélection très pointue de « livres et curiosités ». Ils se définissent comme des passeurs passionnés. Engagés même. Ils voient leur librairie comme un véritable commerce de proximité et estiment avoir un rôle social. Le confinement a rappelé à beaucoup l’importance d’acheter des livres dans une librairie avec tout le conseil qu’on peut attendre de professionnels du livre. Marie-Odile et Louis sont heureux car leur commerce va plutôt bien et ils y mettent toute leur énergie. A eux deux, ils lisent environ cinq livres par semaine, pour le plus grand bonheur de leur clients toujours avides de conseils avisés. Pour Alternatif, ils nous proposent une sélection spéciale street art. autourdesmots.fr Kelu Abstract Artiste urbain, Kelu Abstract s’exprime avec force sur papier collé dans la rue et sur toiles et panneaux de bois, à coup de peinture acrylique, au pinceau et à la bombe, comme Jef Aérosol dont il est l’assistant-complice-compère. Son lieu d’expression privilégié : la rue, où il touche les passants dont les regards croisent ceux de ces portraits. Sa technique rapide de peinture lui permet de rebondir sur l’actualité. Un artiste en phase avec le monde, dont la démarche engagée (mais non politisée) a éclaté à l’occasion du projet « Sentinelles ». Initié par la Condition Publique en 2020, celui-ci a mis en lumière les héroïnes et héros du quotidien, qui ont continué de travailler malgré la crise et le confinement. Kelu est aussi photographe. Il lui arrive de figer Jef Aérosol, notamment au fish-eye. A apprécier, comme par le trou d’une serrure. keluabstract.com Lucie Massart Artiste protéiforme formée aux Beaux-Arts de Tournai, l’illustratrice et sérigraphe Lucie Massart croque tous azimuts, imprimant son univers poétique sur des supports aussi différents que des collants (via sa marque De Bas en Oh) ou des vitrines de commerçants.On aime son trait enlevé et coloré qui enchante nos vies et la ville, en touchant notre cœur d’enfant. Installée aux Ateliers Jouret depuis 2017, elle multiplie les collaborations… Pour Alternatif, Lucie a accepté avec enthousiasme de dessiner le romancier Djamel Chérigui dans son épicerie roubaisienne. Télescopage de deux âmes sensibles. luciemassart.art
Fanny Bouyagui, un point c’est tout
Cheville ouvrière d’ArtPointM depuis le début des années 1990, Fanny Bouyagui traverse les disciplines artistiques avec aisance et ne se laisse pas enfermer dans une case. Du défilé de mode au spectacle multimédias, en passant par le Vjing, la céramique ou la direction artistique d’événements d’envergure comme le NAME, festival de musique électronique ou encore la Braderie de l’Art dont c’est la 30e édition cette année, elle abreuve de sa créativité le paysage culturel de la métropole lilloise et bien plus loin encore. Pour Alternatif, Fanny Bouyagui se prête au jeu du portrait chinois et nous livre un aperçu de sa personnalité plurielle et hors normes. Si vous étiez… Un platTous les plats du chef Simone Zanoni, chef italien extraordinaire que j’ai suivi en vidéo quasiment tous les jours pendant le premier confinement. Une couleurNOIR – Noir, c’est noir. Une matièreLA PEAU – ça veut dire plein de choses : toucher, contact, odeur, câlin, tattoo… Un lieuLE BERGHAIN A BERLIN – un club techno mythique, un espace de liberté. Les plus grands artistes s’y produisent. Le club a été reconnu « lieu culturel » par les autorités allemandes. On attend la même chose pour les clubs en France. Un tatouageUN TATOUAGE RATÉ – J’adore les tatouages ratés parce que c’est drôle et émouvant… Un vêtementAVEC UN BEAU SAC ET DES BELLES CHAUSSURES TU ES STYLÉ – du coup, le reste importe peu. Un animalL’ÉLÉPHANT – parce qu’il est en voie d’extinction et qu’il faut le protéger. Parce qu’il est Ganesh, dieu de la sagesse, de l’éducation et de l’intelligence. Une danseAU REX CLUB SUR DE L’ÉLECTRO – c’est le temple techno à Paris, immanquable. Une boissonVIN ROUGE, aujourd’hui ce serait les vins natures ou en biodynamie. Une saisonL’AUTOMNE – parce que j’aime les intersaisons. Un jour de la semaineDIMANCHE MATIN EN AFTER – no comment. Une œuvre d’artLES INSTALLATIONS DE BOLTANSKI – un artiste majeur malheureusement disparu depuis peu. Un événement cultuelLE NAME, évidemment. Un souvenir d’enfanceLes rendez-vous des copains africains de mon père le dimanche à la maison. Un pur bonheur. Une chanson sous la doucheJE CHANTE PAS SOUS LA DOUCHE – en vrai je préfère les bains. Je sais, c’est pas écolo. labraderiedelart.com artpointm.com
Garçonne huit lettres qui résonnent
Franck dit « Ginger » à la guitare et au chant, accompagné de Ale, Baptiste à la basse et aux claviers et Loïc à la batterie… Garçonne, groupe électro-rock roubaisien sort un premier single et un clip mi-décembre. L’occasion de plonger dans un univers qui foisonne. Comment votre précédent groupe Ginger a glissé vers Garçonne ?Le passage de l’anglais au français dans les textes a entraîné chez nous une révolution mélodique, rythmique, sur le plan des tessitures de chant et même de notre approche de la scène… deux ans de travail pour voir naître un nouveau répertoire et « Garçonne » en novembre 2019. Ensuite une pandémie et le besoin d’évoluer pour s’adapter. Créer à distance, sonder d’autres univers, faire évoluer le son du groupe s’est imposé comme une évidence. L’arrivée au chant de Ale qui donne la réplique à Ginger a été sans doute la dernière étape de notre révolution récente. Garçonne ça embarque dans quel univers texte et son ?Déboires de couples, bonheur des uns, peine des autres, balloté dans ces villes survoltées qui nous en demandent plus chaque jour. On a envie d’air pur, de liberté, de poses, de recul, de bienveillance, de partage… On pose forcément un regard attendri et révolté sur les dérives urbaines, sur nos excès, nos faiblesses… mais notre propos est aussi plein d’espoir quand il s’agit des moments de grâce, d’échange que l’on pourrait résumer par « le simple bonheur d’être ensemble ». Garçonne surfe sur la « French touch ». Un savant mélange d’électro, de son 80’s et de rock. C’est mélodique, énergique et déroutant. New Order, The Cure, Bowie, Gainsbourg… sont nos sources d’influence. Un premier single « La même journée » et un premier clip qui racontent quoi ?Dans ce monde où tout va de plus en plus vite, nous cherchons à combler le vide existentiel vertigineux qui fait le siège de nos consciences… On le fait en exécutant mille choses par jour… certaines actions sont banales, d’autres débiles, certaines sont décalées, d’autres de la première importance… !!! On gave nos cerveaux pour qu’ils nous ferment les yeux et que l’on ne voie plus ce vide abyssal… La chanson dit simplement « on fait tant de choses dans une journée… peut-être trop… en faire moins nous permettrait peut-être de les faire mieux… de vivre mieux ! » Quels sont vos lien(s) avec Roubaix ?On répète à RoubaixOn vit à RoubaixOn boit des cafés à RoubaixOn rit on pleure à RoubaixForcément la ville, sorte de concentré explosif et subtil de diversité, aux habitants si généreux et si dingues, théâtre des destins les plus fous, à l’architecture merveilleusement rectiligne et mélancolique influe sur notre création. Quels sont les projets à venir ?La première phase de travail (écriture, composition et enregistrement des chansons) vient de se terminer.Un premier single sortira dans le courant du mois de décembre accompagné d’un clip tourné tout récemment.La seconde phase consistera à trouver les partenaires pour diffuser au mieux la musique de Garçonne (label, tourneurs, équipe de promos, etc…) Ensuite les projets ne manquent pas : Sortir un premier EP qui fasse voyager, s’interroger, planer, oublier, danser, etc… Faire de la scène pour partager avec le public notre univers. C’est là que l’on se sent le mieux ! Fonder une famille musicale, un studio de création où les valeurs seront la tolérance, le partage mais aussi la « rebellitude », le combat contre les choses qui nous révoltent. Produire de la musique, collaborer avec d’autres artistes… Initiales GarçonneG comme Gare… c’est là qu’on part et qu’on arrive !A comme AphrodisiaqueR comme Répète… et répète après moi…Ç comme Ça… Ça sonne GarçonneO comme Ornithorynque… parce qu’un castor avec un bec de canard ça ne court pas les rues !N comme N’oublie pas… n’oublie pas d’où tu viensN comme Nue… toute nue… sous la pluieE comme Ecoute… écoute et dis-nous… garconne.fr
Djamel Cherigui, ses nuits sont plus belles que ses jours
Illustration : Lucie Massart On a déjà tout dit sur Djamel Cherigui, l’épicier qui vit un conte de fée après la publication de son premier roman. Vraiment ? Et si on s’intéressait à ses journées, et ses nuits, bien remplies et bien structurées. Vingt-quatre heures dans la vie d’un jeune homme qui ne se dit pas encore écrivain, mais qui travaille sur son deuxième roman. Djamel Cherigui a gardé les pieds dans son épicerie. Il est resté le même, avec le même sourire flegmatique et ce petit côté nonchalant. Le succès qu’il connaît depuis la sortie en mars de son premier roman « La Sainte touche » ne l’a pas transformé. « J’ai connu ça tard, à 35 ans. » précise-t-il. Son emploi du temps et le rythme de ses journées sont quasi immuables. vers 13/14h « Je me lève. Je me prépare rapidement pour rejoindre mon épicerie Le parvis au Nouveau Roubaix. » Avec toujours cette question : quel livre va-t-il emporter dans son sac ? Il lit trois ou quatre livres en même temps. En ce moment, il relit « Au plaisir de Dieu » de Jean d’Ormesson, pour son prochain roman. Il n’en dira pas plus, juste qu’il reste dans le même univers et qu’il espère le sortir en janvier 2023. Entre deux clients, Djamel plonge le nez dans ses livres. La lecture, un plaisir qu’il qualifie d’addiction. « J’ai besoin de ma dose quotidienne. » A 18h, il baisse le rideau de l’épicerie – « J’ai gardé les horaires Covid et je verrai si je repousse la fermeture à 23h comme avant » – et rejoint des amis chez le pâtissier roubaisien Patrick Hermand. A 19h10, c’est précis, Djamel entame sa séance de sport quotidienne. « Et ensuite je sors dîner. Je n’ai pas de frigo ni de four chez moi, je n’aime pas particulièrement cuisiner. » Ses endroits de prédilection : le Métropolitain du côté de la gare de Roubaix ou à la brasserie André à Lille. La nuit, c’est le meilleur moment de la journée. Je lis jusque 6h environ. De retour chez lui vers 23h, « c’est le début de la soirée » s’amuse-t-il. « Hors de question de regarder un film, ma seule façon de m’évader c’est la lecture« . Il commence par un ouvrage complexe, « Charles Péguy par exemple » ou de la philosophie, au hasard Nietzsche. Et là, il est le plus heureux des hommes, dans le silence de la nuit. A trois heures du matin, changement d’ambiance. Djamel poursuit sa lecture par un roman plus léger : Charles Bukowski, Nicolas Rey, Emmanuel Carrère ou Chris Kraus font partie de ses auteurs favoris. « C’est le meilleur moment de la journée. Je lis jusque 6h environ. » Et il finit par s’endormir comme un bébé. Et le lendemain vers 13h il se réveille et recommence. La master class de Djamel Cherigui L’angoisse de la page blanche ? « Je peux buter au début. En tout cas, l’exercice d’écriture est super laborieux chez moi » annonce d’emblée le jeune écrivain. D’ailleurs il ne se qualifie pas ainsi. « Je suis épicier, moi. Je suis un épicier qui écrit si vous préférez. Je pense qu’on est écrivain à partir du moment où on reçoit le prix Goncourt. » Une méthode ? « Pas vraiment mais j’écris beaucoup de choses sur des post-its étalés un peu partout chez moi. Des phrases, des idées, des fulgurances, des choses que j’entends. » L’importance de la première phrase ? « Evidemment que c’est important. Je n’ai jamais changé la première phrase du roman mais j’ai mis deux semaines à la construire. » Un écueil à éviter ? « Ah oui ! Surtout ne pas utiliser les adjectifs en trop grand nombre ! » Et de citer Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément« . Le style Cherigui ? « C’est une question de rythme. J’ai su me corriger pour trouver mon style. Un style direct mais recherché. »Il concède facilement qu’il est « assez pitoyable en orthographe« . « La lecture ça étoffe le vocabulaire, mais ça n’améliore pas l’orthographe« , selon lui. La notoriété soudaine ? « Je suis assez mal à l’aise avec le succès et la notoriété. Je suis juste content quand on me dit que je procure du plaisir aux gens. » conclut-il, modeste et posé. Toujours souriant en tout cas, et déjà entrain de penser au deuxième roman.« On me donne l’occasion de faire mieux et je saisis ma chance. »
Luc Hossepied, plus petit galeriste du monde… ou presque
Ancien journaliste, il a crée La Plus Petite Galerie du Monde (ou presque) il y a 26 ans à Roubaix. Entre exposer les faits ou l’art sous toutes ses formes, il n’y a qu’un pas… OU une fenêtre ! Fenêtre OU cimaise ?La fenêtre. Mettre l’art aux fenêtres c’est lui offrir une ouverture à tous sur la rue. Il devient en quelque sorte médiateur. Mais la cimaise aussi, car l’artiste a besoin d’un cocon. Peinture OU céramique ?Les deux sont complémentaires, présenter deux artistes en complémentarité permet d’enrichir le regard du visiteur. Rue des Arts OU arts de rue ?L’art de la rue plutôt. Modestement, je crois que ça a changé quelque chose rue des Arts. Ça adoucit la vie, ça adoucit la ville. Ça permet de faire se rencontrer les gens, ça crée de la complicité entre voisin. Entrevues OU entre vous ?Pas d’entre-soi en tout cas ! J’y suis complétement opposé. Plume OU micro ?Le micro ! Parce que j’aime provoquer, faire rire tout en étant sérieux. Mais la plume, c’est l’émotion… Quoi qu’il en soit, être journaliste c’est être honnête. Portrait OU paysage ?Plutôt portrait parce que les gens ! Derrière chaque personne, il y a une histoire, une aventure. Mais un paysage peut ouvrir une fenêtre sur ce qu’on avait pas vu et provoquer un changement de regard. J’aime être dérangé par un artiste qui va m’offrir un nouveau point de vue et m’interroger. Photo OU cliché ?Il faut se battre contre les clichés, donc photo. Roubaix OU les blés ?Roubaix parce que c’est une ville attachante. Ici, ce n’est pas calme, ça va vite. Roubaix, ce sont les possibles ! Et du blé pour tous les Roubaisiens ce serait bien aussi ! Dare-dare OU d’art ?Dare-dare bien sûr, faut que ça aille vite, que ce soit intelligent. D’ailleurs, on peut tout dire en peu de temps… © Anaïs Gadeau Le Plus Petite Galerie du Monde (ou presque)69 rue des Arts – RoubaixVernissage de 11h30 à 12h et ouverture jusque 18h chque premier dimanche du mois.Permanences tous les samedi après-midi de 15h à 18h sur RDVTél. : 06 15 79 18 25 lapluspetitegalerie.fr Page Facebook Instagram
RESCO le chant du signe
Elle a emprunté son nom d’artiste à sa maman d’origine italienne, parce qu’elle n’a pas envie que les noms des femmes s’effacent aux profit de ceux des hommes. Et parce que ça sonne. Océane Marescotti nous fait l’honneur de la 4e de couverture. Une page dont on est fier, comme on pourrait l’être de notre dernier tattoo. On avait hâte de rencontrer l’artiste qui impose sa trame depuis quelques mois à Roubaix (La Bobine, Le Couvent de la Visitation…) et ailleurs. Une trame automatique hyper graphique, comme une écriture qui vient de plus loin, de plus haut. Une calligraphie reconnaissable entre mille et un motif tribal (ou des hiéroglyphes extra-terrestres ?). La touche Resco quoi.Le rendez-vous est pris rue de l’hôtel de ville, dans l’immeuble que les artistes de RémyCo ont investi en octobre 2021, baptisé L’Alternateur. Une brunette à la dégaine adolescente nous ouvre. Welcome ! Direction le 2e étage, où Resco alias Océane partage un atelier lumineux avec Ouroboros alias Camille. Fille, mère, femme… artiste Née sur un bateau, Nantes, Perpignan, Aix-en-Provence et des études en communication et identité visuelle qui l’amènent à devenir directrice artistique. Des parents engagés pour le bien-être des personnes âgées dépendantes. Un prénom à se faire, une place à trouver. Aujourd’hui, à 35 ans, la maman de Noah, 14 ans et de Camille, 4 ans, s’éclate à coup d’encre noire et (un peu) de couleurs. Facile de faire son trou de souris dans cet univers masculin ? « Oui, affirme sans hésitation Océane. Nous sommes peu représentées, mais être femme n’a jamais été un problème en ce qui me concerne. J’ai la chance de travailler dans un environnement sympa avec des collègues ultra bienveillants. » Resco veille à ne pas se poser en porte-étendard de la cause féminine, même si c’est une cause qui la touche de plus en plus. « Quand j’anime des cours de spray avec des petites filles, je suis fière de leur prouver que c’est possible. » © Anaïs Gadeau Resco des villes, Resco des champs Eduquer le regard des plus jeunes, partout, dans les villes mais aussi à la campagne, c’est son combat. « J’habite un village aux portes de la communauté urbaine. Il y a comme une frontière… En ville, tous les gamins sont hyper stimulés, alors qu’à la campagne, l’œil est peu éduqué au graphisme. » L’artiste s’anime, militante. « Aujourd’hui, je travaille dans l’énergie de la ville, mais je veux créer une association pour promouvoir les arts visuels en milieu rural et lutter contre cette inégalité flagrante. Les arts urbains fascinent les enfants. Une bombe ça engage tout le corps, ça permet de parler à plein de sens. L’art ouvre les portes de l’imaginaire. » Et de nous raconter, vidéo à l’appui, le témoignage reçu de la directrice de la crèche rurale près d’un tunnel qu’elle a transformé en passage magique : « Désormais la traversée du petit pont se fait en courant et en criant. » Touchée. D’autres projets ? » J’ai beaucoup d’idées ! Je me laisse guider par les rencontres. Fan de motifs, le textile m’intéresse évidemment. Si je suis venue à Roubaix c’est pour les arts urbains et le textile. Ce qui m’intéresse c’est d’expérimenter. » Un tee-shirt avec Lucie Massart, un rapprochement avec la Fondation pour l’art urbain Desperados, Alternatif… « C’est le genre de chemin que je veux suivre. » Page Facebook RESCO
Elisa Uberti, L’art en douce
Rencontre sous la verrière des Ateliers Jouret avec la jolie brindille Elisa Uberti. La petite fée du grès s’est pliée avec espièglerie au jeu du portrait chinois. Morceaux choisis. Si vous étiez une forme ? Je ne serais pas une forme géométrique bien définie, mais plutôt une forme organique, avec des courbes féminines et réconfortantes, à l’image de mes céramiques. Un nombre ? Le 22. C’est la date de naissance de ma fille, la mienne, celle de son père… et celui qui ressort quand on additionne tous les chiffres de la date de naissance de mon fils. Mon atelier est aussi le n°22. (NDLR : l’entrevue a lieu un… 22) Un paysage ? L’océan Atlantique pour le côté sauvage, un paysage de forêt ou de montagne. Bref la nature, de préférence avec de vastes horizons. Un tatouage ? Le prochain. Peut-être un nouveau tatouage de Lia November, que j’aime beaucoup. Un personnage avec un léopard et des fleurs, ce n’est pas encore bien défini. Ou un tatouage en rapport avec mon travail, mais je ne pas encore quoi. Une émotion ? Une émotion positive, l’enthousiasme, l’envie de faire ! Une couleur ? Les couleurs neutres et plutôt naturelles comme les beiges, les nudes, les ivoires ou les noirs ? J’utilisais déjà beaucoup ces teintes quand j’étais styliste. Un vêtement ? Un pantalon d’homme à pinces, porté par une femme. J’aime bien les ambiguïtés. Ou alors un vêtement de travail, un tablier ou une biaude***. En tout cas un vêtement ayant vécu, pas un vêtement neuf. Un lieu à Roubaix ? Les Ateliers Jouret, où je travaille entourée d’une belle famille d’artistes et d’artisans. Le quartier de l’Epeule où j’habite et le Non-Lieu, un endroit atypique qui a gardé son âme d’ancienne usine textile. Une matière ? Si je m’en réfère à mon travail, je serais le grès, une terre argileuse que je cuis à basse ou haute température selon l’effet désiré. Je l’aime pour son aspect brut, très primitif. D’une façon générale, j’aime les matériaux qui me rapprochent de la nature, comme le bois et l’osier. Un outil ? Mes mains. Je me dis souvent que si je ne les avais plus ce serait une catastrophe. Même si j’utilise une estèque* pour finaliser mes œuvres, ce qui m’intéresse le plus dans la technique du colombin**, c’est que je n’ai besoin de rien d’autre… que de mes mains. Un animal ? Un petit oiseau, pour la liberté de voler et celle de regarder le monde de loin avec de la hauteur. Un créateur ? Xavier Corberó, sculpteur catalan, connu pour ses arches monumentales, ou les architectes Jean-Louis Chanéac et Antti Lovag connus pour leurs habitats bulles. Tous des créateurs utopistes, avec des idées folles et des rêves d’enfants. Une période de l’histoire ? Les années 70, pour le côté « on va refaire le monde », utopiste, hippie. Un parfum ? Un parfum à porter, ce serait plutôt un parfum mixte. Sinon les odeurs du printemps, l’odeur des fleurs ou de l’herbe fraîchement coupée. Une fleur ? Une pivoine, une renoncule ou un freesia… du moment que la fleur est blanche. *Outil de bois ou de métal dont le potier de terre se sert pour terminer ses ébauches. **Boudin de pâte molle servant à façonner des céramiques sans utiliser le tour. ***Blouse de paysan. Facebook Elisa Uberti ateliersjouret.fr
Danser comme on respire
Ses mains effleurent l’air, agiles. Ses mots sont passionnés, virevoltants. Sylvain Groud, le nouveau directeur du Centre chorégraphique National de Roubaix respire la danse par tous les pores. Une heure avec lui, c’est une heure au coeur du mouvement, de la grâce, de la légèreté et de beaucoup de lumière… La danse est arrivée à lui un peu par hasard. Mais, comme une révélation. « Je viens plutôt de la gym au départ. J’ai grandi dans le 93, à Aulnay-sous-Bois. Et je n’avais pas vraiment accès à la culture. Juste parce que c’était comme ça, ça ne se faisait pas… Et puis à l’occasion d’une sortie scolaire, je suis allé voir un spectacle de ballet. Et là, j’ai eu le choc de la première fois. A partir de ce moment-là, je me suis mis à danser, sans m’arrêter, jusqu’à l’épuisement. C’était un véritable bonheur ». Puis tout s’enchaîne pour Sylvain Groud, comme si c’était normal, naturel. Simplement parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Le Conservatoire de danse de Paris, le ballet d’Angelin Preljocaj, le premier prix du concours international de danse… « Tout ça, c’est grâce à la singularité de mon projet qui s’inscrit dans un contexte émotionnel fort. J’en arrive là parce que je n’ai de cesse de prouver que je donne accès à la danse à tous ces mômes que j’étais. » Se nourrir de la rencontre Démocratiser la danse en se nourrissant de l’autre. Là sont les racines du travail artistique de Sylvain Groud. La rencontre est son moteur, qu’il s’agisse d’artistes (vidéastes, comédiens, auteurs, plasticiens…) ou de personnes lambdas croisées lors d’ateliers dans des prisons, des maisons de retraite, des MJC, des hôpitaux… « L’autre me permet de me ré-enchanter. Je crois beaucoup à cette rencontre de l’altérité qui permet de se rénover, de nettoyer sa propre vision, comme si on appuyait sur un bouton « reset ». » Peu importe la personne donc, le chorégraphe puise dans son vécu, dans sa manière de bouger, de parler pour créer son propre mouvement. Ce « protocole » de la rencontre lui permet par exemple de donner naissance à des impromptus, pendant lesquels il crée des chorégraphies uniques et singulières au coeur d’un lieu du quotidien (une gare, une place, un hôpital…). « Dans ces moments-là, je suis comme un danseur-homéopathe qui distille sa danse dans une zone de turbulence. Les gens se retournent et se demandent : « Mais pourquoi il fait ça ? ». C’est un don, un acte gratuit ou se met à l’œuvre la poésie du quotidien, dans un endroit où il n’y a aucun code. Je vais vers un public qui a la liberté totale de ne pas rester. Mais je suis sûr que dans le fond, personne ne reste intact à ce genre de moment. Ca vient forcément graver quelque chose d’irrationnel chez l’autre et c’est cette force du mouvement qui me fascine. » C’est par un même processus qu’il réussit à créer des spectacles participatifs*. « On se rencontre, on échange, on se raconte et on voit ce que ça produit. Une fois qu’on se reconnaît mutuellement, on peut aller vers la danse et partager un langage commun. » Un langage à transmettre En tant que directeur du Centre chorégraphique national de Roubaix, c’est ce langage que Sylvain Groud veut transmettre dans tout Roubaix et alentours : « Dans 4 ans, je voudrais que vous puissiez aller faire un tour dans Roubaix et que tout le monde sache ce qu’est le CCN. Je voudrais que notre présence devienne normal, qu’elle soit prégnance, qu’on ait réussi à insinuer notre langage partout, comme un virus qui se serait propagé. Parce que je suis comme ça, j’ai cette maladie, il faut que je danse ! » *Par exemple, Let’s move, commande de la Philharmonie de Paris dans laquelle Sylvain Groud a mis en scène 60 danseurs amateurs rendant hommage à l’univers des comédies musicales. Plus récemment, la grande parade d’ouverture d’Eldorado (Lille 3000). © Sébastien Jarry Et vous, vous écoutez quoi ? On voulait essayer de connaître un peu plus Sylvain Groud en le questionnant sur ses goûts musicaux. Ses réponses, nous laisse une nouvelle fois entrevoir un homme ouvert aux autres et au monde Une musique pour vous endormir ?Une berceuse pygmée, pour ses polyphonies et le son des calebasses Une musique qui vous met en joie ?La techno Une musique qui vous rend triste ?Barbara Une chanson pour chanter sous la douche ?Un air d’opéra interprété par Philippe Jaroussky ou Nathalie Dessay Une musique pour danser ?N’importe quel univers sonore Une musique qui ressemble à votre danse ?Je ne peux pas répondre à ça. Ma danse est une réaction en chaîne qui se nourrit potentiellement de tout. Une musique qui ressemble à Roubaix ?Pour l’instant c’est une musique sans paroles. Plutôt de la musique concrète et bruitiste. Quelque chose qui s’ancre fort dans la réalité. © Sébastien Jarry © Sébastien Jarry www.balletdunord.fr
Arnaud Desplechin, Les lumières de sa ville
Rendez-vous est pris entre deux scènes de tournage dans les salons du Grand Hôtel Mercure à Roubaix. Le cinéaste fantasque venu filmer son 12e long-métrage à Roubaix, sa ville natale, apprécie ce moment d’échange. Une respiration tout en chuchotements qui le dégage quelques instants des rouages millimétrés et rythmés de la réalisation. Rencontre avec un homme singulier, ouvert aux fantômes et empli d’une belle lumière. Roubaix, partir pour mieux revenir En plus de 30 ans de carrière, Arnaud Desplechin, amoureux du cinéma d’auteur, a été nommé 56 fois dans des festivals et a obtenu plusieurs prix dont le prix Louis-Delluc en 2004 pour Rois et Reine et l’Etoile d’Or du réalisateur pour Un conte de Noël en 2009 ! Cinq de ses longs métrages ont été tournés à Roubaix, ville où le cinéaste a vécu et étudié jusque l’âge de 17 ans. Ville à laquelle il est toujours très attaché pour l’identité meurtrie qu’elle lui inspire : « Jeune homme, j’ai eu besoin de fuir cette ville, de m’arracher à mes racines. J’ai intégré l’école de cinéma l’IDHEC à Paris et dès mon premier moyen métrage, La vie des morts, j’ai souhaité revenir tourner ici comme pour livrer quelque chose qui vienne de mon passé, de ma vie, de moi. Je reste fasciné par cette ville, par les signes d’un passé industriel très prospère alors qu’aujourd’hui, la réalité n’est plus la même. Il y a comme un devoir, une fierté à résister et à revenir. » Un point de vue intellectuel humain Le long métrage tourné s’intitule Roubaix, une lumière. Il relate un fait divers inspiré par un vrai meurtre commis par deux jeunes femmes, interprétées par les actrices françaises Léa Seydoux et Sara Forestier. Le commissaire Daoud incarné par Roschdy Zem mène l’enquête, sillonne la ville qui l’a vu grandir. Voitures brûlées, altercations… Le film met en scène un monde en crise et se charge d’une mission : rendre leur humanité aux coupables. Au réalisateur de préciser : « Vous faites comment avec la misère ? Je n’ai pas de propos sociologiques ni même politiques. Mes deux héroïnes viennent d’un milieu socialement très dur, elles ont un destin tragique. Et pourtant une lumière scintille en elles. Quelque chose de l’ordre de l’amour qui transcende le poids de la réalité. Des soubresauts magnifiques. » Un cérébral fidèle et romanesque Inspiré par les réalisateurs de la Nouvelle Vague, et surtout par François Truffaut dont il connaît au moins dix films par cœur, Arnaud Desplechin est un cinéaste souvent jugé pour son intellectualisme, pour ses personnages complexes, souvent opaques. Cinéaste fidèle à ses acteurs, Arnaud Desplechin lance et met en lumière Mathieu Amalric dans La Sentinelle en 1992. Lui et son acteur fétiche font partie de ces couples fusionnels au cinéma : depuis 1992, ils ont tourné sept films ensemble. Il en reste une constante et une longue histoire qui se nourrit au fil des années, faisant évoluer les personnages de Paul Dedalus et d’Ismaël Vuillard (incarnés par Amalric) de film en film. Ces héros récurrents contribuent à créer l’ampleur romanesque du cinéaste. La discussion aurait pu continuer encore… Trop rapidement, l’entrevue se termine. Le tournage doit reprendre. Les équipes sont en place devant la patinoire face à l’hôtel de ville. Au moment de l’au revoir, le visage d’Arnaud Desplechin rayonne. La rencontre appuyée sur l’évocation de nombreux souvenirs liés à Roubaix semble avoir galvanisé le cinéaste. Son Roubaix est très attachant et toujours bien vivant. Portrait chinois : Un souvenir d’enfance Je faisais partie d’un club d’escrime et chaque 14 juillet, nous défilions avec nos fleurets dans les rues de Roubaix. La mairie nous donnait 1 franc pour cette représentation. J’en garde un souvenir émerveillé. Un souvenir de cinéaste Catherine Deneuve, au moment du tournage d’Un conte de Noël en 2008. Le Grand Hôtel n’avait pas été refait. Catherine avait investi le premier étage. C’était dingue de la voir descendre le grand escalier le matin. Une espèce d’insolence d’avoir Catherine à Roubaix qu’elle a par ailleurs beaucoup aimé. Une personnalité Germaine Lantoine-Neveux ! Les portraits de cette peintre roubaisienne sont exposés au musée La Piscine. C’est ma grand-tante qui me l’a fait découvrir et apprécier, notamment pour ses séries de portraits qui prenaient pour modèles des ouvrières comme des bourgeoises. Un lieu Le Parc Barbieux ! Nous y étions en tournage hier soir. Mon rêve est de parvenir à y faire un plan cinématographique du tram vu du parc. Je n’y suis toujours pas parvenu ! Un film pour… Avoir la pêche Leto du réalisateur russe Kirill Serebrennikov. Un film enthousiaste autour de la musique rock qui donne une énergie d’enfer. Regarder la société Je vais au cinéma pour échapper à la société. Je préfère regarder le monde. Il n’en reste pas moins que La règle du jeu de Jean Renoir m’a mis à genoux quand je l’ai vu la première fois. Rêver Phantom Thread avec Daniel Day-Lewis. L’histoire d’un couturier dans les années 50 qui rencontre une muse. La nature de leur relation est tellement mystérieuse que l’on pense que c’est un songe. Dans les #coulisses du nouveau film de Desplechin à #Roubaix : il en faut du monde et du matériel pour le tournage ! pic.twitter.com/S3MiOIWqRM — Ville de Roubaix (@roubaix) 26 août 2016 Arnaud Desplechin et Roschdy Zem tournent à la patinoire pour les besoins d’une scène du film « #Roubaix, une lumière » 🎥 Nos plus belles photos sur https://t.co/z6PuGGNCkz pic.twitter.com/uvcLrvdRyM — Ville de Roubaix (@roubaix) 15 décembre 2018 Filmographie express 1991 Prix Jean-Vigo pour son premier moyen métrage La Vie des morts 1992 Réalisation du premier long-métrage La Sentinelle 1996 Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) 2000 Esther Kahn 2003 Léo en jouant « Dans la compagnie des hommes » 2004 prix Louis-Delluc pour Rois et Reines 2007 L’Aimée 2008 Un conte de Noël 2013 La Forêt 2013 Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) 2014 Trois souvenirs de ma jeunesse 2016 César du meilleur réalisateur pour Trois souvenirs de ma jeunesse 2017 Les Fantômes d’Ismaël 2019…
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