Arnaud Desplechin, Les lumières de sa ville

Portrait d'Arnaud Deplechin4 min

Rendez-vous est pris entre deux scènes de tournage dans les salons du Grand Hôtel Mercure à Roubaix. Le cinéaste fantasque venu filmer son 12e long-métrage à Roubaix, sa ville natale, apprécie ce moment d’échange. Une respiration tout en chuchotements qui le dégage quelques instants des rouages millimétrés et rythmés de la réalisation.
Rencontre avec un homme singulier, ouvert aux fantômes et empli d’une belle lumière.

Roubaix, partir pour mieux revenir

En plus de 30 ans de carrière, Arnaud Desplechin, amoureux du cinéma d’auteur, a été nommé 56 fois dans des festivals et a obtenu plusieurs prix dont le prix Louis-Delluc en 2004 pour Rois et Reine et l’Etoile d’Or du réalisateur pour Un conte de Noël en 2009 ! Cinq de ses longs métrages ont été tournés à Roubaix, ville où le cinéaste a vécu et étudié jusque l’âge de 17 ans. Ville à laquelle il est toujours très attaché pour l’identité meurtrie qu’elle lui inspire : « Jeune homme, j’ai eu besoin de fuir cette ville, de m’arracher à mes racines. J’ai intégré l’école de cinéma l’IDHEC à Paris et dès mon premier moyen métrage, La vie des morts, j’ai souhaité revenir tourner ici comme pour livrer quelque chose qui vienne de mon passé, de ma vie, de moi. Je reste fasciné par cette ville, par les signes d’un passé industriel très prospère alors qu’aujourd’hui, la réalité n’est plus la même. Il y a comme un devoir, une fierté à résister et à revenir. »

Un point de vue intellectuel humain

Le long métrage tourné s’intitule Roubaix, une lumière. Il relate un fait divers inspiré par un vrai meurtre commis par deux jeunes femmes, interprétées par les actrices françaises Léa Seydoux et Sara Forestier. Le commissaire Daoud incarné par Roschdy Zem mène l’enquête, sillonne la ville qui l’a vu grandir. Voitures brûlées, altercations… Le film met en scène un monde en crise et se charge d’une mission : rendre leur humanité aux coupables. Au réalisateur de préciser : « Vous faites comment avec la misère ? Je n’ai pas de propos sociologiques ni même politiques. Mes deux héroïnes viennent d’un milieu socialement très dur, elles ont un destin tragique. Et pourtant une lumière scintille en elles. Quelque chose de l’ordre de l’amour qui transcende le poids de la réalité. Des soubresauts magnifiques. »

Un cérébral fidèle et romanesque

Inspiré par les réalisateurs de la Nouvelle Vague, et surtout par François Truffaut dont il connaît au moins dix films par cœur, Arnaud Desplechin est un cinéaste souvent jugé pour son intellectualisme, pour ses personnages complexes, souvent opaques. Cinéaste fidèle à ses acteurs, Arnaud Desplechin lance et met en lumière Mathieu Amalric dans La Sentinelle en 1992. Lui et son acteur fétiche font partie de ces couples fusionnels au cinéma : depuis 1992, ils ont tourné sept films ensemble. Il en reste une constante et une longue histoire qui se nourrit au fil des années, faisant évoluer les personnages de Paul Dedalus et d’Ismaël Vuillard (incarnés par Amalric) de film en film. Ces héros récurrents contribuent à créer l’ampleur romanesque du cinéaste.

La discussion aurait pu continuer encore… Trop rapidement, l’entrevue se termine. Le tournage doit reprendre. Les équipes sont en place devant la patinoire face à l’hôtel de ville. Au moment de l’au revoir, le visage d’Arnaud Desplechin rayonne. La rencontre appuyée sur l’évocation de nombreux souvenirs liés à Roubaix semble avoir galvanisé le cinéaste. Son Roubaix est très attachant et toujours bien vivant.

Portrait chinois :

Je faisais partie d’un club d’escrime et chaque 14 juillet, nous défilions avec nos fleurets dans les rues de Roubaix. La mairie nous donnait 1 franc pour cette représentation. J’en garde un souvenir émerveillé.

Catherine Deneuve, au moment du tournage d’Un conte de Noël en 2008. Le Grand Hôtel n’avait pas été refait. Catherine avait investi le premier étage. C’était dingue de la voir descendre le grand escalier le matin. Une espèce d’insolence d’avoir Catherine à Roubaix qu’elle a par ailleurs beaucoup aimé.

Germaine Lantoine-Neveux ! Les portraits de cette peintre roubaisienne sont exposés au musée La Piscine. C’est ma grand-tante qui me l’a fait découvrir et apprécier, notamment pour ses séries de portraits qui prenaient pour modèles des ouvrières comme des bourgeoises.

Le Parc Barbieux ! Nous y étions en tournage hier soir. Mon rêve est de parvenir à y faire un plan cinématographique du tram vu du parc. Je n’y suis toujours pas parvenu !

      Un film pour…

Leto du réalisateur russe Kirill Serebrennikov. Un film enthousiaste autour de la musique rock qui donne une énergie d’enfer.

Je vais au cinéma pour échapper à la société. Je préfère regarder le monde. Il n’en reste pas moins que La règle du jeu de Jean Renoir m’a mis à genoux quand je l’ai vu la première fois.

Phantom Thread avec Daniel Day-Lewis. L’histoire d’un couturier dans les années 50 qui rencontre une muse. La nature de leur relation est tellement mystérieuse que l’on pense que c’est un songe.

      Filmographie express